Erich Fromm, Psychanalyse et bouddhisme zen - Crise du modèle occidental.

Publié le par DANANCIER Yves

 

L'intérêt pour le bouddhisme en France ne peut être exclusivement rattaché à un regain d'intérêt pour le religieux, mais sans doute tout autant à ce que Fromm désigne comme crise de civilisation. C'est dans un ouvrage plus populaire, "Avoir ou Etre", que Fromm donne toute l'ampleur nécessaire à l'analyse de cette crise qui constitue ici la toile de fond d'une réflexion sur le bouddhisme zen à l'occasion d'un séminaire tenu au Mexique.

Aujourd'hui le mouvement social, même de manière encore embryonnaire, traduit cette prise de conscience de la crise du modèle occidental de société à travers l'écologie, l'antiproductivisme ou la décroissance. Et plus généralement traduit une aspiration à un modèle de société décente. Il reste que l'autre "crise", économique et sociale celle là, pourrait lui offrir une opportunité de sortie "révolutionnaire".

 
Psychanalyse et bouddhisme zen
 
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"En premier lieu, il nous faut considérer la  crise spirituelle que traverse l'homme occidental dans cette période de son histoire d'une importance cruciale et le rôle qu'y joue la psychanalyse.

Bien que la majeure partie des Occidentaux n'ont pas conscience de traverser une époque de crise culturelle (probablement la majorité des gens qui traversèrent une époque de crise fondamentale n'en ont jamais pris conscience), l'existence d'une telle crise est dûment constatée, tout au moins par des observateurs critiques.

[...] Depuis Descartes, l'homme n'a fait qu'accroître la rupture entre pensée et affect .. La personne, le Je, s'est divisé en son intellect qui constitue son seul vrai moi et dont le rôle est de me contrôler tout comme il doit contrôler la nature. Le contrôle de la nature par l'intellect et la production d'un nombre croissant d'objets deviennent le but souverain de la vie. Au cours de ce processus, l'homme s'est transformé lui-même en objet. La vie est devenue tributaire de la propriété. "Etre" est dominé par "Avoir".

Alors que les fondements de la culture hébraique et grecque considéraient la perfection de l'homme comme le but de la vie, de nos jours c'est la perfection des objets et la science de leur fabrication qui préoccupent essentiellement l'homme moderne. L'homme est dansun état d'incapacité schizoide à éprouver l'affect, d'où son angoisse, sa dépression, son désespoir." (I. p.87, s.)         

".. « Là où était l'Id, sera l'Ego ». Son (S. Freud) but était la domination par la raison des passions irrationnelles et inconscientes. Il fallait que dans la mesure de ses possibilités, l'homme se libérât du pouvoir de l'inconscient. Il fallait que l'homme devint conscient des forces inconscientes qui l'habitaient, afin de les contrôler et les dominer. Le but de Freud était d'atteindre à la connaissance optimale de la vérité, qui est connaissance de la réalité. .. Ce but fut aussi celui du rationnalisme, de la philosophie des lumières et de l'éthique des Puritains, mais alors que cet idéal de self-control, religion et philosophie le postulaient d'une manière qu'on pourrait appeler utopique, Freud était - ou croyait être - le premier à lui donner une base scientifique (par exploration de l'inconscient) et ainsi lui ouvrir la voie de la réalisation.

.. ce que je tiens à souligner ici c'est que Freud a eu le courage d'affirmer qu'on pouvait raisonnablement dépenser plusieurs années avec une seule personne dans l'unique intention de l'aider à se comprendre elle-même. .. La méthode de Freud n'a de sens que si l'on dépasse la notion moderne de "valeur", d'équilibre entre fins et moyens, de bilan pour tout dire. Si l'on adopte le point de vue qu'un être humain ne se compare à aucun objet, que son émancipation, son bien-être, son illumination .. est en soi une question de "préoccupation ultime", il n'y a aucune somme de temps ou d'argent qui puisse s'évaluer en terme quantitatif par rapport à un tel but.

.. J'ai tenté de montrer qu'en dépit de ces contradictions flagrantes avec le Bouddhisme zen, le système freudien possédait des éléments qui dépassaient la norion conventionnelle de maladie et de cure, ainsi que la notion traditionnelle et rationaliste de conscience. Ces éléments devaient conduire la psychanalyse à un développement postérieur doué d'une affinité plus directe et plus positive avec la pensée Zen. .. " (II. p. 91, s)  


"Bouddhisme Zen et psychanalyse" Suzuki, Fromm, Martino. Quadrige PUF 1981
 
Voilà quelques extraits introductifs qui devraient vous inciter, peut être, à une lecture de ce petit ouvrage. Je reviendrais ces prochains mois sur cet autre ouvrage d'Erich Fromm, "Avoir ou Etre" - vous offrant ainsi à partager quelques références de ma bibliothèque.
   
  PASOLINI et le complexe d'Orphée, "poème en cul-terreux" (1973-74)
   

Publié dans Livres "Société"

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